jeudi 28 juin 2012

Sentinella, di Marco Ercolani, carta bianca ed.

  Quelques tentatives de traduction d'une écriture aphoristique et d'inspiration hérétique rappelant  Lichtenberg.

" Ce serait étrange que cette échelle dont je ne vois pas les barreaux mène quelque part.
...
   La sentinelle s'efforce de garder la vraie lumière de la nuit. S'efforce.
...
   Durant les enterrements dans certains villages, on peint différents masques du visage du défunt parce qu'ainsi il peut franchir le seuil pas seulement avec lui-même.
...
  J'ai rêvé qu'en peu de temps et sans parler à aucune, je saluais vingt cinq personnes.
....
  Je termine avec les mêmes syllabes que celles avec lesquelles j'avais commencé.
Cependant, autour de moi le paysage des phrases a changé.
...
   Les paroles non dites: mon refuge. De la sorte je me libère du poids de toutes celles que j'ai dites.
...
  Un fou, guéri et déprimé, raconte les épisodes de sa folie passée qu'il regrette. Pour lui ce sont les seuls événements de sa vie dignes d'intérêt. Qu'il leur survive aujourd'hui est ce qu'il a toujours redouté tandis qu'il marchait dans les bois, traversait les quais, chantait, frémissait,  tremblait, pleurait, délirait: être dans l'attente de la mort, alors que déjà mort, à l'intérieur d'une chambre.
...
  Des centaines de fenêtres anciennes, dans une forêt, une maison entourée d'arbres recouverts de feuilles d'aluminium. Lumière des miroirs. C'était la maison du constructeur visionnaire Clarence Schmidt, qui a brûlé mystérieusement en 1968.
...
  Je rêve que les frontières reprennent leur existence et reforment le rectangle parfait de la feuille et que je recommence à écrire et ensuite, de dessous, l'eau revient et emporte le papier sur la cime de la vague la plus haute.

Je ris si fort que les murs se mettent à tourner, mais c'est un mensonge. En réalité je pleure.
Robert Walser
C'est le mensonge parfait de l'art: que les murs se mettent à tourner attirés par le vortex et que là, au centre de la chambre, nous nous tenions, faisant semblant de rire et de pleurer.
...
Errant dans la folie:  l'écrivain.
Immobile dans la folie: le fou.

Marco Ercolani, traduction SD


lundi 25 juin 2012

Hier la Petite Librairie recevait Stéphane Landois et sa maison d'édition, l'Atelier du Hanneton


Voici un extrait d'un très beau livre publié par ses soins, Comme feuilles aux mains des choses de Thomas Geidel, belle couverture de l'artiste Jean-Luc Boiré, paru en décembre 2010

derniers rayons
du visage d'une mère bleue
au pays de pluie

il pleut de la neige
ici l'ailleurs
se dilue

il pleut de la neige
comme si je te pleurais

notre liberté est grande
il pleut
de la neige

l'hiver pleure
le peu de vent

ici monte quelqu'un
longeant le ruisseau

paysage de neige
en neige
pour le reste

la clarté 
est descendue
des étoiles

les feuilles de cristaux
séparent les tripes
des agneaux

le relief de la chose
en elle-même
sans fin

dans les pierres du chemin
roule
le matin

apparaissent
certaines feuilles
à ras de terre

le temps du foin
est un soir clair
qui le soir
devient lait

Thomas Geidel

vendredi 22 juin 2012

Demain 24 juin, dernière Petite Librairie de la saison!

Expositions de Brigitte Conesa et Susanna Lehtinen, lectures et traductions, livres et moule à gaufre, éditeurs et poètes, agapes et soleil, demain à la Petite Librairie des Champs pour démarrer l'été...
Brigitte Conesa
Pavots, Susanna Lehtinen

Lettre de Jacques Chessex à Gustave Roud, 1° août 1972

(...)
C'est une année à renards. On en voit dans les prés, sur la route, à quelques pas des villages. Le Gros-de-Vaux a déjà moissonné. Il y a des matins d'automne sur la Mentue. Samedi, un mariage à Villars-Mendraz; et dimanche, deux juments caressées à la porte du café de la Poste, à Villars aussi, les dragons (un caporal et un soldat) se passaient le demi en plein vent, le président Philippe Jaton, syndic de Chapelle, avait fixé un beau ruban rouge et blanc au front des bêtes toutes fières. C'était sept heures, j'ai pensé à vous, on était dans l'un de vos poèmes.
(...)

mardi 19 juin 2012

La musique dans un tramway aveugle, Karla Olvera


LA MUSIQUE DANS UN TRAMWAY TCHEQUE
Karla Olvera



La vitesse matriochka, 1, 2, 3, 4


Il m’est arrivé si souvent de confondre le tramway de Prague avec celui de Lisbonne que j’en suis venue à penser qu’il s’agit du même. Pourtant quelques différences entre eux comme la couleur, le tchèque est rouge et le lisboète jaune, la langue dans laquelle sont imprimés les tickets, les noms des destinations, tout cela suffit pour les distinguer. L’origine de ma confusion ne tient pas compte de ces détails parce qu’elle provient d’une cause invisible et complexe : il s’agit de l’harmonie entre la vitesse à laquelle avance le tramway et de celle de la ville dans laquelle il évolue.

Prague paraît aller d’un pas plus rapide que Lisbonne, avec, toutefois, un effet de lenteur.
Quand je voyage en tramway à Prague, j’évalue sa vitesse comme une vitesse matriochka, (…) La vitesse du tram ralentit la pulsation de la ville et même les intercepte à l’intérieur du wagon, là où les choses arrivent en vérité.

La ville et le tramway  portent seuls les traces de ce qui est arrivé. Il y a exactement cent un an, en 1910, Kafka voyageait dans ce tramway et notait dans son journal intime le tempo de la vitesse matriochka, très petite vitesse ou ultime, celle de ce qui se passe à l’intérieur du tramway :

La danseuse Eduardowa, fervente de musique, circule, en tramway comme partout, accompagnée de deux violonistes qu’elle fait jouer souvent. Car on ne  voit pas pour quelle raison il serait interdit de jouer dans un tramway, si toutefois la musique est bonne, agréable aux voyageurs, et gratuite, c’est-à-dire si elle n’est pas suivie de quête. Il faut avouer qu’au début, cela ne laisse pas de surprendre un peu et, pendant un petit moment, tout le monde juge cela déplacé. Mais en pleine marche, quand il y a un fort courant d’air et que la rue est silencieuse, l’effet est charmant.[1]

1,

La première Matriochka, c’est Prague. Rilke disait d’elle qu’elle est  l’espace intérieur du monde.
(…)

2,

La seconde Matriochka, c’est le tramway rouge et blanc qui déambule dans la ville (…)
Un tramway électrique de la prestigieuse marque tchèque Skoda. (…)


3,

La troisième Matriochka est le wagon dans lequel circule la danseuse Eduardowa, ses amis violonistes, Franz Kafka  les autres voyageurs.
(…)

4,

La quatrième Matriochka est la musique capable de s’accorder aux conditions décrites par Kafka : le tramway en marche, dans un fort courant d’air, avançant dans une rue tranquille.
(…)

(tentative de traduction SD)

[1] F.Kafka, Journal, traduction Marthe Robert, Grasset

lundi 18 juin 2012

Îles, de Jean Grenier

Outre le chat Mouloud, dont l'histoire est racontée par Grenier avec une tendresse cruelle, le livre est un voyage vers une tentative de consolation.
Le voyage lui-même évoqué plusieurs fois est à la fois découverte, perte de repères et recherche de l'invisibilité :
"J'ai beaucoup rêvé d'arriver seul dans une ville étrangère, seul et dénué de tout. J'aurais vécu humblement, misérablement même. Il m'a toujours semblé que parler de moi-même, me montrer pour ce que j'étais, agir en mon nom, c'était précisément trahir quelque chose de moi, et le plus précieux."(in Les îles Kerguelen)
Entre le je que Grenier se résigne à employer et le il du romancier auquel il ne croit pas plus, il nous donne à voir et à sentir un parcours intérieur ("susciter ce chant intérieur faute duquel rien de ce qu'on ressent ne vaut") qui le conduit vers des pays étrangers où la nécessité du déplacement est posée:
"On passe des jours à Barcelone à visiter des églises, des jardin, une exposition, et il ne vous reste de tout cela que le parfum des fleurs opulentes de la Rambla San José. Etait-ce donc bien la peine de se déranger? Evidemment oui."
Et plus loin, à la toute fin, il écrit encore:
"A quoi bon voyager? Les montagnes succèdent aux montagnes, les plaines aux plaines et les déserts aux déserts. Je n'en aurai jamais fini et ne trouverai jamais ma Dulcinée. Refermons donc, comme dit l'autre, un long espoir dans un bref espace. Puisqu'il m'est impossible de vivre le long des rocailles et des balustrades du Lac Majeur, que je fasse en sorte de leur trouver de glorieux substituts!
Quoi donc? Eh bien, il me semble que partout où ils se trouveront, le soleil, la mer et les fleurs seront pour moi les îles Borromées; qu'un mur de pierres sèches, défense si fragile et si humaine suffira toujours pour m'isoler, et deux cyprès au seuil d'un mas pour m'accueillir..."

Jean Grenier, ÎLES, COLLECTION L'IMAGINAIRE GALLIMARD

dimanche 17 juin 2012

Alice/Molly avec nous au jardin samedi 16 juin pour fêter le Bloomsday!

Le contrebassiste Vincent Bauza
Molly Bloom sur son fil rêvant (Marianne Kergoet, compagnie du Fil)
oeuvre de Susanna Lehtinen pour saluer Joyce
Marianne/Molly dansant dans le soir d'été

Ce fut une soirée très belle et très heureuse. Que tous les présents et la Cie du Fil  en soient remerciés!

samedi 16 juin 2012

A Boulbon le 24 juin la Petite Librairie !





PETITE LIBRAIRIE AU BORD DE L’EAU
TOUTE EN ESQUISSES  
dimanche 24 juin
à partir de midi !

Nous aurons d’abord le plaisir de découvrir une double exposition à midi
Brigitte Conesa et Susanna Lehtinen
présenteront leurs travaux
et nous boirons à leur santé et à la santé de l’été !

Après l’apéro, un repas partagé (où chacun amène son plat préféré) émaillé de surprises dont le moule à gaufre de Stéphane Landois
et des lectures savoureuses.

Après la sieste et les desserts, vers 15 heures
nous irons au bord de l’eau écouter
Arnaud Savoye
Stéphane Landois
Susanna Lehtinen
Sylvie Durbec
Marie Paule Richard
lire
dans leur langue ou dans celles qu’ils ont traduites
(italien, allemand, finlandais)
en présence
des éditions CousuMain et de l’Atelier du Hanneton
ON VOUS ATTEND NOMBREUX !
Ce sera la dernière de l’année et la prochaine s’annonce bien pour le 22 septembre avec Marielle Anselmo et Nathalie Riera !


mardi 12 juin 2012

Bourgogne, de Filippo Ravizza, un essai de traduction par SD d'un de ses poèmes


Bourgogne

Ils ont beaucoup volé les enfants
au-dessus des champs, hors des maisons,
les pieds sur l’herbe…
elles ont beaucoup regardé le monde les grandes
vaches blanches, mais là, maintenant,
l’autobus ne semble plus un monstre mécanique,
plutôt un navire infiniment lent et heureux
égaré dans un océan vert et tout neuf, où
comme des vagues les arbres ouvrent l’horizon et
appellent la route le temps et nous à l’intérieur
nous penchés vers ce qui vient, touchés
au cœur par la force de cette beauté,
nous te regardons comme un décor réel
mais aussi fleur de l’esprit, commencement,
Europe, Europe paysanne, mère.

in Turista, editions LietoColle, 2008


lundi 11 juin 2012

Généalogie, Louis Calaferte

Par mes arrière-arrière-arrière-
grands-grands-pépères et grand-mères-grand
et mères et pères et pères et mères
et par ceux qui les précédèrent
tous ceux si loin si loin si vieux
si vieux zaïeux
par tous mes macchabées ancêtres
je suis de zorigine humaine

oeuvre de Véronique Devesa-Dominici

mercredi 6 juin 2012

A Bagnols sur Cèze, Pierre Reverdy

Les lectures que l'on fait dans des villes qu'on connaît peu amènent des rencontres de toute sorte. Non seulement avec des lecteurs venus écouter, qui, parfois, vous laissent de drôles de phrases en partage: "Vous, vous venez d'une douleur ancienne, non?" mais aussi avec la ville elle-même et ses habitants. Ses boutiques aussi. Sur la place de la mairie, il y a, à Bagnols sur Cèze, un bouquiniste et un rayon de poésie. Sur lequel j'ai trouvé, parmi d'autres, un volume de la collection dirigée par Pierre Seghers, Poètes d'aujourd'hui.
Emporté comme un trésor ou un talisman, le livre recelait entre autres beautés des dessins faits par Matisse, Picasso ou Juan Gris pour accompagner les poèmes de Pierre Reverdy. Jacques Brémond qui nous accompagnait a raconté sa visite au cimetière de Solesnes et aussi à la maison natale du poète dans l'Aude. Personne, semblait-il, ne savait quel poète avait été Reverdy. Sur l'exemplaire que je venais d'acheter, il y avait un portrait du poète dessiné par Picasso et surchargé d'annotations curieuses à l'encre verte.
Annotations dont je ne saurais sans doute jamais qui les a a faites et pour quelle obscure raison. Et l'écriture de Reverdy donnée à voir comme une preuve de l'existence du poète:

En ces temps, les années cinquante, on avait encore le temps de faire des livres pour initier les gens à la poésie et donner à lire de larges extraits des oeuvres des poètes. En voici un donné à lire dans ce petit livre brun trouvé à Bagnols sur Cèze.

Mémoire

Quand elle ne sera plus là
Quand je serai parti
Là-bas où il peut aussi faire jour 
Un oiseau doit chanter la nuit
        Comme ici
Et quand le vent passe
La montagne s'efface
les pointes blanches de la montagne
On se retrouvera sur le sable
Derrière les rochers
Puis plus rien
            Un nuage marche
Par la fenêtre passe un cri
Les cyprès font une barrière

L'air est salé
Et tes cheveux sont encore mouillés
Quand nous serons partis là-bas derrière
Il y aura encore ici quelqu'un
Pour nous attendre
Et nous entendre
Un seul ami
L'ombre que nous avons laissée sous l'arbre
                                    et qui s'ennuie

Pierre Reverdy, in Pierres Blanches, Jordy, Carcassonne, 1930








mardi 5 juin 2012

Rencontre avec Yann Miralles et Sylvie Durbec à Bagnols sur Cèze aujourd'hui



 Rencontre avec Sylvie Durbec et Yann Miralles en présence de leur éditeur Jacques Brémond
Mercredi 6 juin 2012 à 18 h
Yann Miralles, Sylvie Durbec et Michaël Glück
                      Médiathèque Léon­Alègre      Bagnols­ sur ­Cèze 

Tous les deux comme trois frères, un autre extrait

La vérité comme elle chemine. De lapsus en mots d'esprit. C'est là qu'elle nous attend. Sous le tunnel. Qu'elle nous cueille. Un souvenir que l'on croyait éteint, et soudain la tétine. La vieille tête avec ses cheveux teints. La tête du coupable que la micheline vient couper. Comme d'autres la conversation, votre élan avec leur question: " Tu te teins?". A quoi le chat répond avec un sourire. Son sourire qui pourrit dans les branches.
(...)
Dans ses considérations sur l'art et la manière de croiser les mots, Georges Perec propose une liste de 28 définitions pour "IO" et il nous invite, Joueurs comme Maîtres, à relever le défi.
Alors on y va.
On va manger les gnocchi, car c'est jeudi, jeudi, le Balduci reste chez lui, avec sa tétine, sa méchante tétine de boeuf, il la resservira samedi.
Samedi, des gens iront au marché, acheter de la tétine. Ils iront, comme dit Jacques Bens, "de mâle en pis".

le sourire du chat et la grand-mère (SD)
Denis Montebello, Tous les deux comme trois frères, Le Temps qu'il fait éd.

lundi 4 juin 2012

Denis Montebello, Tous les deux comme trois frères, au Temps qu'il fait

Quelques mots ont ouvert pour moi ce livre et ils résonnent même quand il est refermé: trovatello, boîte à fourbi, montebello, vérité in cimente...Dès le titre, la mémoire est invitée, la nourriture et la langue qui s'en nourrit.
" Les "gnocchi" sont la spécialité de mon grand-père. Ce qu'il me prépare rien que pour moi. Et pour accompagner le poulet au four. J'arrive le jeudi, du catéchisme à Chantraine et de la messe chez les Franciscains. (...) Le plan de travail est fariné, la boule prête, une belle boule souple et qui ne colle pas. Il coupe la boule en deux, pour en faire des rouleaux. Des rouleaux qu'il tronçonne régulièrement. Le tronçon est un peu plus gros qu'une bille. Quand le poulet est prêt, que je suis installé, il sort une fourchette. Il roule avec son pouce la bille sur le dos de la fourchette. un petit creux se forme, des rayures apparaissent. Le gnocco est né: ël gnoch, comme on l'appelle dans le Piémont. Pas la peine de sortir la rape à fromage, ce n'est pas encore l'heure du parmesan. Ni de revenir à je ne sais quelle table bien rayée. Pas besoin d'imaginer d'autres sillons, d'autres aspérités afin d'accrocher la sauce. Cette sauce qui est du beurre chaud. Quand les billes ont toutes reçu leur forme, il les jette dans une grande casserole d'eau bouillante salée. (...)

Maintenant il a retiré toutes ses billes. Et ma mémoire est une passoire. Je ne sais plus si dans le beurre chaud il avait infuser quelques feuilles de sauge fraîche. Je cherche la fourchette. Celle que je devrais garder en souvenir de mon grand-père. Afin de penser à lui. Si l'envie me prenait de faire des gnocchi. Je lui connaissais un couteau. Avait-il sa fourchette? Une  fourchette spéciale qu'il ne sortait que le jeudi? Le jour des gnocchi. Pourquoi le jeudi? Parce que c'était le jour de repos hebdomadaire, le jour des enfants? Ou pour perpétuer, bien qu'il fût loin de chez lui, et depuis si longtemps, la tradition: le Giovedi gnocchi?


Denis Montebello, Tous les deux comme trois frères, Le Temps qu'il fait

vendredi 1 juin 2012

Bloomsday à Boulbon, le 16 juin!


Amenez vos extraits préférés et lisez dans la langue que vous aimez!


POUR TOUT RENSEIGNEMENT et INSCRIPTION : 04 90 43 94 82