samedi 12 mai 2012

Pierre Bergounioux

..."J'entendais, par intermittence, un gazouillis lointain et dans les intervalles de plus en plus longs, il n'y avait plus que l'odeur d'humus, la saveur acidulée de l'air froid, le goût d'arbre.
  Il y a un ultime intervalle, un dernier gazouillis après quoi c'en est fini de la voix du dedans. Ce n'est même plus un oiseau. Pourtant, je suis rentré parce qu'un jour j'avais voulu. Je devais. Je me suis détaché du tronc, j'ai hasardé le premier pas vers ce canton de ténèbres au pied duquel scintillait l'essaim des lumières de la ville. C'est comme de naître, un arrachement cruel. Les jambes, qui touchaient terre, ont contracté, les premières, la rigidité des racines aériennes, des contreforts que possèdent certains arbres exotiques. On a les joues cartonneuses, insensibles, comme de l'écorce, les dents soudées au point que, on a perdu l'aptitude à modeler des sons, à former des paroles, avec. Car c'est quelque chose dont on peut aussi se passer quand on a rallié la forêt, les royaumes de la nuit."

Pierre Bergounioux, L'orphelin, page 66, Imaginaire Gallimard

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